Colère des banlieues : la faillite d’un modèle d’intégration ?
vendredi 11 novembre 2005.
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Les violences urbaines qui touchent les banlieues révèlent que le modèle d’intégration français est aussi défectueux que celui, par exemple, des Etats-Unis. Pour le remettre en marche, un impératif : le regard des Français sur les « minorités visibles » doit changer…
« Liberté, égalité, fraternité ? Réalité », telle était, dans la première semaine de novembre, la Une du très respectable quotidien anglais The Independent. Une phrase choc qui touchait directement au fond du problème. Après seulement quelques jours d’émeutes dans les banlieues, la rédaction du journal britannique avait bien pris conscience du malaise français. Alors que le modèle hexagonal promet l’intégration, le bonheur pour tous les citoyens et l’égalité des chances, l’amère réalité a vite rattrapé la naîve illusion qu’il a créée en chaque Français. Les voitures brûlées, les affrontements des jeunes avec la police ont remis sous le projecteur trente ans de mauvaise gestion des cités.
Les caméras de télévision ont fait prendre conscience de l’ampleur du problème. Les images semblent même tout droit venues de Los Angeles, lorsque les émeutes noires ont ravagé la métropole californienne, en 1992. Il semble que les casseurs connaissent des problèmes similaires à ceux de leurs semblables américains : la vie dans des ghettos, la discrimination honteuse… Alors que la France connaît des émeutes depuis le décès, la semaine dernière, de deux adolescents de 17 et 15 ans, Ziad et Banou, électrocutés dans un transformateur EDF dans des circonstances confuses quant au rôle que la police y a tenu, Los Angeles s’est embrasée après l’acquittement des quatre policiers accusés d’avoir tabassé Rodney King.
Beurs français et Noirs américains, même combat
Comparer situations américaine et française a de quoi surprendre. Pourtant, ces deux pays ont en commun la mise en place d’un idéal égalitaire universel. France et Etats-Unis sont les seuls pays au monde à offrir la liberté aux peuples de toute la Terre. Mais ces nations devraient d’abord regarder ce qui se passe au sein de leurs sociétés. L’échec de l’intégration des Noirs aux Etats-Unis, si souvent décrié de ce côté de l’Atlantique, devrait servir de leçon aux hommes politiques français. Après le succès de la lutte pour les droits civils des années 50 et 60, les Afro-Américains pâtissent encore des effets de siècles d’esclavage, de discrimination et de racisme, sans parler d’une pauvreté extrême. Aux Etats-Unis, un Noir touche un salaire 30% moins important que celui d’un Blanc pour le même poste. Encore faut-il trouver un travail, puisque les Noirs sont deux fois plus touchés par le chômage. 42% des condamnés à mort sont Noirs. 50% des prisonniers sont Noirs, et le nombre d’Hispaniques emprisonnés va grandissant.
Ces chiffres alarmants devraient interpeller plus encore. Car les données françaises ne sont pas si éloignées. Dans les zones urbaines sensibles, le chômage est deux fois plus important que la moyenne nationale. Le rapport sur les « minorités visibles » de Claude Bébéar, rendu à Jean-Pierre Raffarin en 2004, souligne un point important : l’éducation ne peut rien aux discriminations, puisque 35% des écoliers des zones d’éducation prioritaire sont d’origine étrangère. Parfois, ce taux atteint les 80%. Last but not least, 60% des victimes de violence policière sont d’origine étrangère.
Malheureusement, la loi ne permet pas d’en savoir plus : la discrimination étant interdite dans les statistiques, anonymes par essence, il est impossible de savoir le taux réel de chômage des populations d’origine étrangère, le taux de délinquance ou le nombre de détenus issus des minorités. Mais on peut penser que les chiffres français doivent être proches des statistiques américaines. Même si, et j’y insiste, comparaison n’est pas raison.
Un modèle à revisiter
Faut-il alors remettre en cause le modèle français ? Sans aucun doute et on pourrait, pour cela, regarder de l’autre côté de la Manche. Au Royaume-Uni, l’égalité des chances est une réalité beaucoup plus concrète. Là-bas, pas besoin de CV anonyme : un Britannique d’origine étrangère sait que, dans la plupart des cas, ses compétences compteront, plus que son lieu de naissance ou sa culture d’origine. Exemples : un policier sikh peut garder son turban, une jeune fille peut aller à l’école voilée, et l’on croise beaucoup plus d’hommes d’affaires issus des minorités au cœur de la City de Londres que du coté de la Défense…
Malgré tout, la situation, dans la perfide Albion, n’est pas si rose. Le modèle anglo-saxon ne permet pas aux communautés de fusionner. Chacun vit dans son quartier et garde ses spécificités culturelles. Le modèle semblait correspondre à la mentalité anglaise, jusqu’à ce jour tragique du 7 juillet 2005. Cette date fatidique a appris aux Anglais remplis d’effroi que leurs compatriotes d’origine étrangère étaient capables d’attenter à la vie en plein Londres. De quoi décrédibiliser un modèle d’intégration qui semblait pourtant fonctionner.
La solution au problème ne se trouve donc pas uniquement en Angleterre, pas plus, d’ailleurs, que dans tout autre modèle d’importation. Et, malgré de lourdes critiques, la République offre encore de beaux parcours d’intégration à la française, tel le mélange de cultures original mis en pratique, par exemple, par Léopold Sédar Senghor. Il n’en reste pas moins que face aux problèmes de pauvreté, de chômage, de manque d’éducation et de discriminations dont souffrent les banlieues, la France doit repenser son intégration et, à tout le moins, la moderniser.
Pour cela, elle doit d’abord regarder la réalité en face. Elle n’est plus seulement le pays de Pierre-Paul-Jacques, des fromages et des cathédrales, mais aussi la nation de Pierre-Ahmed-Mamadou, du ramadan et du mafé. La France doit prendre conscience qu’elle est aussi faite de populations d’origine étrangère.
En bref, et pour en revenir aux problèmes de l’heure, avant d’exiger des enfants d’immigrés d’être et de se sentir Français, considérons-les en priorité comme des Français à part entière…
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Article rédigé par Faris Sanhaji